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vendredi 20 août 2010

Les "délicieux voyages" de Louis Lambert



A l'âge de douze ans, son imagination, stimulée par le perpétuel exercice de ses facultés, s'était développée au point de lui permettre d'avoir des notions si exactes sur les choses qu'il percevait par la lecture seulement, que l'image imprimée dans son âme n'en eût pas été plus vive s'il les avait réellement vues ; soit qu'il procédât par analogie, soit qu'il fût doué d'une espèce de seconde vue par laquelle il embrassait la nature.

En lisant le récit de la bataille d'Austerlitz, me dit-il un jour, j'en ai vu tous les incidents. Les volées de canon, les cris des combattants retentissaient à mes oreilles et m'agitaient les entrailles ; je sentais la poudre, j'entendais le bruit des chevaux et la voix des hommes ; j'admirais la plaine où se heurtaient des nations armées, comme si j'eusse été sur la hauteur du Santon. Ce spectacle me semblait effrayant comme une page de l'Apocalypse.

Quand il employait ainsi toutes ses forces dans une lecture, il perdait en quelque sorte la conscience de sa vie physique, et n'existait plus que par le jeu tout-puissant de ses organes intérieurs dont la portée s'était démesurément étendue : il laissait, suivant son expression, l'espace derrière lui.


Mais qu'il est difficile de choisir un court extrait parmi toutes les très belles pages consacrées à la lecture !

Balzac, Histoire intellectuelle de Louis Lambert, [1832], 1836.
Texte à télécharger ici ou ici.

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